d' Arzal à Madère

Nous sommes partis le 7 novembre 2021 du port d’Arzal dans le Morbihan, deux jours seulement après la remise à l’eau du bateau qui sortait de presque quatre mois de chantier et de préparation. Malgré la fatigue de ces derniers jours intenses, nous étions ravis de pouvoir enfin partir et avons profité de la présence et du soutien de la famille et des amis pour ces dernières heures à terre.

Après l’éclusage de 17h, nous avons descendu la Vilaine silencieuse , serpentant dans ses bras qui nous conduisaient vers l’océan. Nous avons débouché au crépuscule et rapidement coupé le moteur pour hisser nos voiles et faire cap au sud. Les phares de l’île Dumet, des grands cardinaux sur l’île d’Hoëdic, puis de Kerdonis sur Belle-île ont jalonné notre route dans cette nuit sombre d’automne. 

Leurs éclats qui disparaissaient progressivement dans la pénombre auront été les dernières images de cette terre de France qui s’éloignait. L’effervescence des derniers jours a rapidement disparu dans les bruits silencieux de la mer, plongeant (presque) tout l’équipage dans un profond sommeil. Après une nuit calme sous voile, le vent est rapidement tombé et nous a contraint à marcher au moteur pendant près de 24h. Ce n’est pas ce que nous espérions, mais cela avait au moins l’avantage d’amariner l’équipage en douceur et les prévisions météo étaient optimistes pour la suite du voyage si nous parvenions à sortir rapidement de cette bulle sans air.

Lorsque le vent se lève enfin lentement, nous profitons des premières lueurs du jour pour tenter de prendre des images du bateau par drone. La qualité des images de ces petites bêtes est incroyable. Et comme si nous n’en avions pas assez dans les yeux, nous apercevons en début d’après-midi des voiles imposantes au loin, qui ne pouvaient être que celles des maxi trimarans de la Jacques Vabre, partis le même jour que nous, du Havre… 

Nous les appelons à la radio et échangeons brièvement pour ne pas trop les déranger avec Sodebo et Actual. Moins d’une demi-heure plus tard, Actual nous dépassait à une vitesse vertigineuse. Il faut dire que nos citrons et nos poireaux suspendus au filet du portique arrière handicapaient fortement notre aérodynamisme, au moins autant que l’esthétique de notre silhouette.

Geste de classe, une Ferrari saluant rarement une Fiat Panda. Il faut croire que le sentiment de petitesse face à l’océan nous unit davantage que la différence de nos coques et de nos budgets. La mer rapproche davantage les hommes qu’elle ne semble séparer les terres.

Le lendemain, le vent forcit et se stabilise au nord-est, nous poussant tout droit vers les côtes Galiciennes que nous apercevons au loin comme une première destination. Nous prenons chacun notre rythme à bord, ce qui n’est pas simple pour Guillou qui doit s’adapter pour deux. Il faut commencer à composer avec la fatigue des quarts de nuit, qui use autant les corps qu’ils ravissent les yeux lorsqu’ils se lèvent vers la voûte étoilée. Le calme de la veille n’est interrompu que par la radio ou les instruments du bord qui nous préviennent des routes de collision potentielles avec les autres navires.

Les jours suivants s’enchaînent, sans que nous puissions aujourd’hui les distinguer les uns des autres. Le rapport au temps change en mer et c’est probablement ce qui nous aura le plus frappé au cours de cette première navigation. C’en est fini de la vassalisation horaire et du culte subi de la ponctualité, nous quittons le temps des heures pour entrer dans celui des moments, des instants et des temps. Ceux-là seuls nous resteront et leur mesure se limite à leur nécessité et à leur satisfaction, pas toujours conjoints, mais retreints à l’essentiel; Un bord sous gennaker, une première daurade et l’émerveillement de ses couleurs dans les yeux des enfants, les couleurs du ciel indifférentes au jour et à la nuit suffisent à repousser l’ennui. Laisser s’écouler le temps est un luxe qu’aucun palace ni aucune fortune ne peuvent offrir mais qu’une coque, un mât et deux voiles mettent à la portée de quiconque.

Nous avons aperçu les premières côtes de l’archipel de Madère au large de l’île de Porto Santo, dont l’histoire veut qu’elle ait été découverte au début du 15ème siècle par un navire en perdition qui trouva refuge à l’abri de ses hautes montagnes volcaniques surgies des tréfonds de la terre. D’anomalies géologiques, ces îles étaient devenues un nouvel espace de conquête pour l’empire portugais, dont le premier gouverneur ne fut autre que Bartolomeu Perestrelo, que personne ne connaît sauf par son gendre, un certain Christophe Colomb. Terre de marin venue des entrailles brûlantes de la terre, Madère sera notre première escale et nous espérons qu’elle nous enchantera autant que la route qui nous y a menés.