Ar Goanak a jeté l’ancre dans la petite baie d’Atuona, sur l’île d’Hiva Oa aux Marquises. Nous découvrons avec beaucoup de plaisir cette île paradisiaque qui respire la tranquillité. C’est un archipel « récent » (à l’échelle géologique), on est donc loin des lagons aux eaux translucides et des plages de sable blanc. Les reliefs sont marqués, la végétation luxuriante et la population très accueillante et souriante. L’île regorge de fruits et nous nous sommes déjà fait offrir une douzaine de pamplemousse, des fruits de la passion, des bananes, un fruit à pain et des caramboles !

Cela fait un bien fou de pouvoir récupérer de la transpac dans une atmosphère si détendue !

Nous n’avons pas été très diserts aux cours des derniers jours de nav et nous en sommes désolés ; la fatigue accumulée et les difficultés météos laissaient peu de répit pour donner des nouvelles plus détaillées.

Nous avons en effet eu des conditions bien musclées pendant les 72h précédant notre arrivée, entre la houle bien formée avec des creux de 4 à 6m à gérer à la barre H24, les vents parfois très violents (jusqu’à 45kn) qui demandaient des manœuvres fréquentes et qui accompagnaient souvent des grains gorgés d’eau. Nous avons sorti les vestes de quart pour la deuxième fois du voyage et on peut dire qu’elles ont eu cette fois un sacré baptême du feu !

Nous pensions être tirés d’affaire en apercevant l’île de Fatu Iva dans la grisaille jeudi soir, mais ce sont de nouveau des rafales très violentes dans les deux mouillages répertoriés de l’île qui nous ont accueilli. Les problèmes arrivant toujours en escadrille, notre génois que nous avions pourtant sécurisé et enroulé le plus serré possible malgré le mou généré par la rupture de l’estrope a fini par prendre le vent et nous nous sommes retrouvés avec une poche de toile qui claquait avec une force impressionnante, faisant vibrer l’étai et tout l’ensemble du gréement. On a bien cru un moment ne jamais réussir à nous tirer de ce mauvais pas et il a fallu que tout l’équipage s’y mette pour parvenir à le dérouler partiellement et à l’enrouler de nouveau correctement en profitant d’une courte accalmie. Tout ça en fin de nuit avec une poignée d’heures de sommeil au cours des trois derniers jours, sous la pluie, autant dire qu’il a fallu puiser dans les réserves ! Dans notre malheur, nous avons eu la chance de pouvoir gérer cet incident à l’abri de la houle et de pouvoir compter sur un gréement et des voiles neuves qui ont donc résisté à ces sollicitations impressionnantes.

Alors que nous nous décidions à quitter Fatu Iva pour reprendre la route vers Hiva Oa, c’est cette fois le moteur qui s’est éteint sans nous demander notre avis… Après une rapide inspection, c’est le filtre à gasoil qui était bouché à cause d’une sorte de boue formée par des micro-organismes qui se développent dans le réservoir avec la condensation. Le phénomène est amplifié par trois facteurs ; la chaleur, l’humidité et l’air. Autant dire qu’un réservoir aux deux tiers vide depuis plusieurs semaines et qui arrive des Antilles et du Panama, c’est exactement les conditions idéales pour ce genre de soucis. Le filtre avait pourtant été vérifié au Panama et il ne présentait pas encore ces traces qui ressemblent à du goudron. Une grosse centaine d’heures de moteur a suffi à tout boucher ! Là encore, nous avons eu de la chance que cela n’arrive pas à un moment critique, nous venions d’ailleurs tout juste de dérouler la trinquette pour nous remettre sous voile, mais il a quand même fallu changer les deux filtres et purger le circuit pendant que Guillou sortait de Fatu Iva avec des rafales à 45 nœuds… Nous testons le moteur après une demi-heure à jouer les équilibristes dans la cale moteur dans les vapeurs de gasoil et tout repart ! Ouf ! cinq minutes sans rien dire, on l’éteint de nouveau pour se concentrer sur nos voiles (certes pas nombreuses par 30kn établis au travers, en l’occurrence la trinquette arrisée suffisait à nous faire avancer à presque 5kn !)

Nouvelle frayeur une dizaine d’heures et des trombes d’eau plus tard en arrivant dans la baie d’Atuona, le moteur a de nouveau montré des signes de faiblesse en baissant dans les tours. Légère montée en pression puisque la baie est entourée de rochers, que le vent soufflait fort et qu’on n’avait pas vraiment envie de passer encore une nuit en mer à attendre qu’on vienne nous remorquer ! Heureusement le circuit de gasoil a fini par se stabiliser et c’est finalement avec un moteur tournant comme une horloge que nous jetons l’ancre derrière la digue, enfin à l’abri de la houle et du vent. Nous avions bien fait de conserver assez de carburant et d’avoir un double jeu complet de filtres de rechange. En mer comme en montagne, l’imprévu fait partie de la rencontre avec dame nature, on ne peut pas le décider mais on peut s’y préparer le moins mal possible. Lundi nous referons le plein avec le produit biocide pour carburant que nous avions emporté en prévention de Martinique, on espère que cela règlera définitivement le problème.

La pression retombe donc enfin parmi l’équipage et monte tout aussi vite dans la bouteille, Champagne ! Après 31jours et 20h de navigation et près de 4000 milles parcourus, dont 13 sans pilote automatique, nous avons bouclé notre transpacifique !

Elle restera sans aucun doute dans nos mémoires car nous avons vécu de très beaux moments et de grandes émotions. La perte du pilote auto malgré nos efforts avant le départ pour assurer le coup a poussé chacun dans ses retranchements. C’était la mer dans ce qu’elle a de plus beau et de plus exigeant ; on ne triche pas et on ne peut pas faire les choses à moitié. Après la rudesse des jours de près jusqu’au Galapagos, la douceur du courant du Pacifique et du vent léger de l’équateur, il a fallu bouleverser la vie du bord pour s’impliquer H24 dans la navigation et finalement affronter nos pires conditions de nav depuis le départ.

Le « Nouveau cours de navigation des Glénans » du bord (version de 1972..) formule pour nous le mot de la fin : « Il faut que chacun, en mettant son sac à bord, soit décidé à supporter un certain inconfort, une certaine promiscuité, à faire l’apprentissage de la tolérance. La mer, dit-on, révèle la valeur de l’Homme. C’est très exact, mais cela mérite d’être formulé d’une autre façon : en fait, la mer offre à chacun une chance de se révéler. Il est des gens qui se sentent mystérieusement transformés dès qu’ils mettent les pieds sur un bateau, qui voient toutes choses d’un œil neuf, qui ne se reconnaissent plus, tout simplement parce qu’ils sont en train de devenir eux-mêmes. Il arrive qu’on voie revenir à terre un équipage absolument différent de celui qui était parti. Tel est le mystère des rapports entre l’océan et l’espèce la plus évoluée de la terre. »

à bientôt

L’équipage !