Chronique N°2 : Maman Maîtresse Ou Maîtresse Maman (Partie 3)

Le juste équilibre

 

Petit à petit, en multipliant les façons d’instruire au cours du voyage, nous avons établi quelques principes fructueux pour nos enfants. Voici ce que j’en retiens :

  • Privilégier un travail journalier, court, régulier : 1h30 maximum ; en lâchant prise tant que possible sur l’efficacité de la troupe… l’heure c’est l’heure !
  • Une maman enseignante et un mari présent pour restaurer sa patience quand elle vacille et ajuster son autorité quand c’est nécessaire. Ce besoin d’une tierce personne est apparu primordial. Cela nous permet d’équilibrer et d’ajuster cette relation particulière de la maîtresse-maman et de l’élève. Cela nous confirme aussi qu’instruire en famille est un choix à faire à deux. Chacun œuvre selon ses talents, et toute la famille s’appuie dessus. Cela aère aussi notre équipe, les garçons aiment le regard paternel extérieur sur leurs progrès et ils aiment aussi de temps en temps pouvoir changer d’interlocuteur pour une séance de lecture ou une leçon particulière.
  • Privilégier le voyage avec ses richesses et ses découvertes : tant pis si on loupe une ou deux journées de travail !
  • Multiplier les rencontres pour les enfants c’est leur offrir la possibilité d’apprendre différemment : par exemple en Martinique nous avons pu vivre à terre plusieurs semaines avec une famille magnifique, où les relations amicales étaient enrichissantes pour chacun. Ils ont pu visiter tout le chantier de l’aéroport grâce à la rencontre d’Edouard un ami architecte, réfléchir sur le thème du travail avec Pauline, professeur de philosophie…
  • Continuer à les encourager dans leurs passions, et les laisser apprendre et travailler à partir de celles-ci. Gabriel s’est passionné pour les cartes marines en Martinique si bien qu’il les a toutes recopiées et apprises par cœur. Nous en avons profité pour jouer avec le système métrique, l’échelle de la carte, l’orientation dans l’espace, les règles de navigation.
  • Nos dernières traversées, non enceinte, m’ont finalement réconciliée avec le travail scolaire pendant les nav’ ! Notre créneau préféré est l’après-midi avant le goûter. Une petite heure qui permet de bien les occuper, les divertissements étant de fait moins nombreux en mer. J’ai débuté l’expérience durant la transcaraïbe (9 jours) et l’ai confirmé pendant la transpacifique (30 jours).

J’ai ainsi acquis la certitude au fur et à mesure du voyage que les enfants apprenaient beaucoup de cette aventure et que cet apprentissage complétait de manière extraordinaire l’enseignement purement scolaire. Apprendre le plus que parfait et les tables de multiplication est nécessaire mais ce que le voyage permet de découvrir l’est tout autant. Calculer la vitesse du bateau, savoir reconnaître les feuilles d’un manguier ou d’un corossolier, découvrir des métiers en échangeant avec des adultes, se repérer sur une carte, comprendre les fuseaux horaires, choisir les bonnes pièces en franc pacifique pour partir en paddle à 4 et 6 ans chercher le pain le matin sont autant d’expériences enrichissantes leur permettant de faire grandir leur autonomie, leur jugement et finalement leur liberté. Mais je suis aussi convaincue que l’apprentissage plus scolaire structure leur manière de penser et d’appréhender le monde, dès le plus jeune âge et qu’il ne doit pas être entièrement délaissé. J’estime que c’est aussi une bonne façon pour eux de comprendre qu’il existe des apprentissages qui demandent de la rigueur et de la persévérance pour des résultats qui ne seront perceptibles que plus tard et dont ils ne soupçonnent pas encore nécessairement la richesse. Apprendre à prendre sur soi, à fournir un effort pas uniquement lorsque qu’ils en ont envie, à accepter l’erreur sans se décourager, à se conformer au rythme de la famille pour le bien de tous, ce sont aussi les premières bases de la vie en société qui sont posées à travers cette exigence que je souhaite conserver. Je tâche de conjuguer ces deux perspectives pour construire plus justement ce que nous désirons leur transmettre.

Cette liberté d’instruire nous comble d’aventures et de belles surprises. Elle est exigeante pour tous ! Elle oblige à trouver le juste équilibre entre les besoins de chaque enfant selon leur personnalité. Prendre soin de leur individualité pour en chasser l’individualisme. Cela demande humilité et effort mutuel. Elle m’impose d’être présente à ce que je fais chaque jour, à ne pas tout contrôler et à prendre de la hauteur, ce qui est indispensable en vivant toutes nos journées ensemble. C’est une véritable chance, malgré les difficultés que nous avons pu rencontrer, de s’investir aussi profondément dans l’instruction de nos enfants. Car l’instruction fait partie intégrante de leur éducation et nous leur transmettons à travers elle ce en quoi nous croyons, ce qui est essentiel, ce qui élève, ce qui demeure. Je garderai longtemps le souvenir des premières lectures d’Augustin, de la joie d’Arthur réalisant ses premières brasses et aussi des multiples tentatives de Gabriel, parfois désespérées et souvent drôles, pour échapper aux règles grammaticales et à l’apprentissage de la conjugaison !   

Et maintenant ? Nous poursuivons cette deuxième année en nous adaptant à de nouveaux aléas. Pour alléger cette période de travaux, nous avons choisi de scolariser les garçons à l’école d’Atuona sur l’île d’Hiva Oa. Les trois sont ravis de cette nouvelle aventure à terre et sont tombés sous le charme de leurs maîtresses décorées de leurs tiarés, des petits copains marquisiens, de la cour de récréation aux airs de grand jardin fruitier. Arthur a fait sa « première rentrée » en moyenne section. Augustin est rentré en CP en sachant lire dans une classe triple niveau avec CE1 et CE2 et Gabriel est rentré en CM1 dans une classe double niveau CM1/CM2… Je continue de superviser leurs apprentissages à la maison pour les compléter et garder le fil conducteur, car lâcher nos habitudes de travail c’est s’offrir le double de labeur quand nous retournerons sur l’eau ! L’ensemble de l’équipage profite pleinement de cette immersion marquisienne en attendant de reprendre la mer et de découvrir de nouveaux horizons.

 

A bientôt !